Piccoli, V., Ticca, A.C., Traverso, V. (2019). « Go internet it’s here » : démarches administratives de personnes précaires ou en demande d’asile. Langage et Société, 167(2), pp. 81-110.
Avec le développement des services publics en ligne, la situation de précarité dans laquelle se trouvent certains migrants impacte significativement leurs pratiques numériques et l’accès à ces services. Cette publication étudie le déroulement de démarches administratives numériques (recherche d’informations, remplissage de formulaire en ligne, etc.), lors d’interactions entre un travailleur social et des demandeurs d’asile. En pratique, les chercheurs analysent les échanges, tant verbaux que gestuels, ayant lieu durant la réalisation d’une démarche administrative en ligne ainsi que sur la façon dont cette démarche s’imbrique avec d’autres démarches reposant sur d’autres supports (lecture de documents papiers, téléphone). La recherche témoigne des difficultés auxquelles font face ce public en situation de précarité durant la réalisation des démarches administratives en ligne en France.
Définitions
La notion centrale de l’article est celle de web participatif (web 2.0). Ce dernier qualifie la réalisation de démarches administratives par la voie numérique telles que la recherche d’informations ou le remplissage de formulaire en ligne.
La notion de fracture numérique qualifie l’écart substantiel dans l’intégration numérique entre différentes composantes de la population (p.ex., les personnes habitant en zone rurale, se trouvant en situation de précarité sociale ou financière) se concrétisant, dans certains cas, par une absence d’accès aux technologies et aux services publics numériques.
Par ailleurs, cette publication s’intéresse aux « migrants précaires ». Ces personnes se retrouvent en situation de grande précarité́, c’est-à-dire vivant dans la rue ou risquant d’y retourner, ne parlant pas ou peu le français, n’ayant pas le droit de travailler ou n’ayant pas de travail et ne disposant pas d’une adresse fiable où recevoir leur courrier.
La fracture numérique touche l’ensemble des usagers migrants et ce, indépendamment de leur niveau de précarité́. Par conséquent, ces usagers précaires soulignent les limites de l’organisation numérique des démarches administratives et ce, avant tout par manque d’accès à internet.
Les difficultés d’accès au système administratif des migrants précarisés se manifestent à plusieurs niveaux : absence de dispositif technologique, incompréhension du vocabulaire administratif, compétences linguistiques limitées. Ces difficultés expliquent le déroulement complexe des interactions lors des démarches administratives en ligne. Toutefois, les échanges avec les travailleurs sociaux permettent à ce public précarisé d’accéder à des démarches plus interactives. En effet, le travailleur social qui intervient lors des démarches administratives recourt à d’autres moyens que le numérique (soit, en s’adressant directement aux instances administratives, soit en identifiant les limites des procédures numériques).
En pratique, le travailleur social ne réalise pas les démarches numériques « à la place » de l’usager et ne les accomplit pas toujours avec lui. Certaines activités (p.ex., l’écriture) sont éminemment individuelles, tandis que d’autres (p. ex., la recherche d’informations) sont plus collaboratives. En outre, les analyses ont montré́ qu’un effort a été réalisé afin que ces personnes acquièrent des connaissances leur permettant d’être plus autonomes dans leurs démarches. Les échanges analysés manifestent une attention particulière du travailleur social dans l’explication de la terminologie administrative qui est indispensable pour accéder aux services publics.
La publication propose une analyse séquentielle des interactions liées à une demande d’aide administrative. Cette recherche met en évidence les difficultés rencontrées lorsque la demande des usagers requiert une démarche en ligne. Dans cette optique, la publication éclaircit les manières dont la fracture numérique se manifeste et affecte le quotidien de migrants précarisés et des travailleurs sociaux qui les accompagnent au cours de leurs démarches administratives.
L’apport majeur de la publication est l’étude de la complexité́ des interactions entre les migrants précarisés, le travailleur social et le service public en ligne. Cette complexité réside dans l’équilibre entre la recherche et la compréhension des informations pertinentes, le maintien de l’engagement mutuel durant la rencontre ainsi que la gestion de sources informatives diverses (ex. documents papiers et numériques, connaissances de l’usager, connaissances des représentants institutionnels) nécessaires à la réalisation de la démarche.
- Trois interactions s’étant déroulées dans le cadre de la Permanence d’accès aux droits de Santé (PASS) ont été sélectionnées pour l’étude. Les enregistrements de ces interactions ont été réalisés sur la base de prises de vue multiples.
- Les données ont été analysées avec une approche interactionnelle, fondée sur l’analyse séquentielle et multimodale des pratiques des participants, ce qui comprend les actions sur l’écran et sur le clavier comme les ressources verbales et gestuelles.
- L’absence d’une capture dynamique d’écran accompagnant les enregistrements constitue une limite de la recherche, car les chercheuses ont été forcées de s’appuyer sur d’autres indices (clics, bruits de frappe) pour comprendre pleinement l’activité́ en cours.
Il n’y a pas d’information concernant le financement dans l’article.