Surmonter les frontières pour organiser la collaboration et la création d'innovations numériques

Pershina, R., Soppe, B., Thune, T.M. (2019). Bridging analog and digital expertise: Cross-domain collaboration and boundary-spanning tools in the creation of digital innovation. Research Policy, 48(9).

 

Contexte

Si l'expertise dans les technologies numériques est nécessaire, elle est rarement suffisante pour générer l'innovation numérique. L'objectif de cette recherche est d'étudier comment des spécialistes issus des domaines de connaissance numérique et non numérique s'engagent dans une collaboration pour créer conjointement l'innovation numérique. L’analyse recoupe la littérature sur l'intégration et la coordination des connaissances en examinant le rôle des outils permettant de surmonter des frontières (boundary-spanning). Cette recherche qualitative est basée sur le développement des jeux sérieux (serious games) numériques. Ces derniers représentent un nouveau type de produits d'apprentissage dont la création implique un large éventail de compétences en matière de jeux (numériques) et d'apprentissage (non numériques). Les résultats montrent comment ces outils facilitent le travail collaboratif entre spécialistes issus de divers domaines de connaissances.

Définition

Le dépassement de frontières (boundary-spanning) est la notion centrale de la publication. Différents types d'artefacts peuvent être utilisés en tant qu'outils permettant de surmonter des frontières pour relier les connaissances non numériques et numériques et ce, dans le cadre d’une démarche collaborative et transdisciplinaire. Ces outils peuvent être numériques (p.ex., les maquettes (mockups), les maquette dites fonctionnelles (wireframes), la documentation relative à la conception de jeux) ou non numériques (p.ex., les prototypes en papier, les tableaux blancs, les sculptures en argile).

Résultats
  • Le tableau ci-dessous présente les différents types d’outils permettant de surmonter des frontières. Pour chacun, l’équipe de recherche y synthétise les capacités d’intégration et de coordinations des connaissances produites.
Types d'outil Exemples  Capacités d'intégration et de coordination des connaissances
Outils non numériques

Objets élémentaires

(p. ex., les tableaux blancs, les carnets à dessin, les notes autocollantes).

  • Expérimentation et co-création collectives,
  • Génération d'idées et négociations sur les limites,
  • Stockage temporaire des connaissances,
  • Développement de liens transdisciplinaires et entre des univers de pensée divergents.
 

    Prototypes rudimentaires

    (p. ex., les prototypes en papier, les modèles en argile).

      • Expérimentation et co-création collectives.
      • Accessibilité,
      • Stockage temporaire des connaissances.
       

      Matériel de référence analogique

      (p. ex., les jeux de société).
      • Traduction de connaissances spécifiques,
      • Résolution des problèmes de communication,
      • Développement de liens transdisciplinaires et entre des univers de pensée divergents.
      Outils numériques 

      Prototypes numériques

      (p., ex., les maquettes fonctionnelles, les versions alpha du jeu).
      • Convergence et transformation des connaissances en un format numérique,
      • Stockage temporaire des connaissances.
       

      Matériel de référence numérique

      (p., ex., les vidéos, les jeux numériques existants).
      • Traduction des connaissances spécifiques,
      • Convergence et transformation des connaissances en un format numérique en fournissant des références numériques liées.
      • Les outils permettant de surmonter des frontières sont utiles pour transmettre les connaissances et, ainsi, intégrer les expertises numériques et non numériques. De tels outils servent de médiateurs entre les experts et participent à la création de compréhensions partagées et à la mise en place d’activités d'innovation régulières.
      • Si le transfert des connaissances intergénérationnelles est particulièrement pertinent pour les entreprises qui s’emploient à intégrer les connaissances anciennes (non numériques) et nouvelles (numériques).
      • Les divers outils permettant de surmonter des frontières sont liés les uns aux autres et ce, de manière dynamique. Ils se modifient au fur et à mesure que les gens travaillent avec et par eux.
      • Les outils et les technologies numériques ne sont pas les seuls à être la clé du développement collectif de l'innovation numérique. Le développement des jeux sérieux dépend aussi de leur interaction avec les outils non numériques. Ces derniers soutiennent des activités d'innovation plus ouvertes, telles que des séances de remue-méninges et d'idéation, tandis que les outils numériques constituent des moyens de convergence des connaissances.
      Messages clés pour la politique et la pratique
      • La capacité à établir un lien entre les connaissances numériques et non numériques est de plus en plus importante pour tirer parti de l'innovation à l'ère du numérique.
      • L’étude apporte des preuves supplémentaires de la nature dynamique et interdépendante des processus et des résultats de l'innovation à l'ère numérique. L’équipe de recherche démontre comment les outils et les technologies numériques font partie intégrante du processus d'innovation.
      • L'éducation inter-domaine et la formation transdisciplinaire sont de plus en plus importantes à l'ère numérique. En effet, l'innovation numérique émerge à l'intersection de diverses sources de connaissances. Par conséquent, l'intégration de l'expertise numérique à d'autres domaines de connaissances est cruciale tant pour les chercheurs que pour les praticiens.
      • L’étude souligne le rôle essentiel des outils non numériques pour l'innovation numérique et collaborative. Les gouvernements pourraient ainsi renforcer une intégration équilibrée des outils numériques et non numériques. Une telle intégration pourrait être réalisée via des programmes éducatifs à tous les niveaux d'enseignement et des formations professionnelles pour la nouvelle génération « d’enfants du numérique » (digital natives).

       

      Méthode et limites de la recherche
      • L’équipe de recherche a utilisé une approche d'étude de cas imbriquée. Dans cette perspective, les conclusions qui ressortent de plusieurs unités d’analyse sont intégrées et interprétées de manière holistique. Le cas sélectionné est celui du développement de jeux sérieux, vu à travers les yeux des développeurs de jeux impliqués dans de tels processus.
      • Les données ont été collectées sur un groupe cible de producteurs de jeux sérieux spécialisés. 27 entretiens semi-structurés ont été menés avec au moins deux informateurs clés par organisation. Plusieurs organisations de l'échantillon ont également été visitées, donnant lieu à de multiples entretiens informels avec divers experts. Des données supplémentaires ont été recueillies en réexaminant la documentation disponible et la littérature et en menant des entretiens supplémentaires avec des experts de l'industrie ainsi que des représentants d'entreprises en dehors du groupe cible d'organisations.
      • La collecte et l'analyse des données ont été effectuées simultanément (processus itératif). Ce qui a permis de « démarrer » l'analyse et d'ajuster la ligne directrice sur les entretiens au fil du temps. Les données primaires ont été transcrites mot pour mot ou autrement documentées. L'analyse thématique a été appliquée pour révéler des modèles communs, des relations et des thèmes émergents liés aux questions de recherche.
      • Il n’y a pas de limite de la recherche mentionnée dans l’article.
      Financement de la recherche

      La recherche a été financée par une subvention du Conseil norvégien de la recherche.