Préserver les principes et valeurs de l’administration publique à l'ère des algorithmes

ANDREWS, L. (2018). Public administration, public leadership and the construction of public value in the age of the algorithm and ‘big data’. Public Administration, 97(2), pp. 296-310.

Contexte

Dans la littérature scientifique, l’intégration des technologies au sein de l’administration publique a été étudiée à travers le paradigme de la gouvernance à l’ère numérique. Avec ce paradigme, les chercheurs conçoivent les technologies informatiques, à l’instar de l’intelligence artificielle (IA), comme un moyen d’améliorer l’agilité, l’efficience et l’intégration des services publics. Cependant, la recherche sur la gouvernance à l’ère numérique, en particulier sur les défis posés par de tels changements technologiques, en est encore à ses balbutiements. Ainsi, les défis posés par la mise en œuvre d’une gouvernance axée sur les algorithmes et les données massives sont relativement peu étudiés. Par conséquent, cette publication a pour objectif d’identifier les défis auxquels les décideurs publics sont confrontés. Pour ce faire, le chercheur a mobilisé la théorie de la valeur publique pour examiner la manière dont les décideurs publics résolvent les problèmes d'éthique et de valeur publique. Pour réaliser cette recherche, le chercheur a conduit une revue qualitative centrée sur l’expérience britannique en matière de régulation algorithmique.

Définition

La théorie de la valeur publique vise à évaluer la qualité de la gestion publique. En théorie, la valeur publique peut renvoyer d’une part, à ce que le public apprécie et d’autre part, à la valeur ajoutée de la sphère publique. Dans ce cadre, la sphère publique est définie comme un espace démocratique qui inclut l'État. La théorie de la valeur publique repose sur le triangle stratégique développé par Moore. Pour générer de la valeur publique, le triangle stratégique est centré sur la clarté des objectifs poursuivis par les gestionnaires publics, sur l’engagement public à répondre à la réglementation de la sphère publique et la mise à disposition des capacités opérationnelles nécessaires.

La notion de problème complexe (wicked problems) est également centrale dans la publication. La nature épineuse d’un problème public découle des intérêts divergents des parties prenantes, de la complexité institutionnelle ou encore de l'incertitude scientifique. Pour qualifier un problème public de complexe, le chercheur mobilise une échelle qui se compose de trois échelons : (1) le premier se réfère à un problème dont la définition et la solution potentielle sont identifiées par le décideur public ; (2) le deuxième qualifie un problème pour lequel la définition est identifiée mais la solution potentielle ne l'est pas ; (3) le troisième qualifie un problème pour lequel ni la définition, ni la solution potentielle ne sont identifiées. Par ailleurs, la définition du problème et l'identification de la solution ne dépendent pas uniquement des questions techniques ou analytiques. Ainsi, la complexité d’un problème public est générée des défis communicationnels, politiques et institutionnels.

Résultats
  • La notion de valeur publique doit prendre en compte les coûts et les avantages sociaux afin de contribuer à une société plus juste. Dans cette perspective, le concept de dignité humaine, tel que repris par le Règlement général européen sur la protection des données (RGPD) de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, doit être central dans l’établissement d’une société de l’IA. À ce titre, le rapport sur la gouvernance des données de la Royal Society and British Academy publié en 2017 stipule que la promotion de l'épanouissement humain est le principe premier pour guider le développement des systèmes de gouvernance des données.
  • Dans le domaine de la gouvernance numérique, la légitimité et l’acceptabilité sont des éléments clés de la stratégie de gestion publique. Cette stratégie peut reposer sur la création d’un groupe de légitimation qui peut inclure les législateurs, les groupes d'intérêt, les régulateurs, les clients et le public en général. En outre, la légitimation d’un problème ou d’une solution en matière de gouvernance numérique peut être renforcée en l’articulant à des problématiques concrètes de la vie des citoyens.
  • En matière de gouvernance numérique, des priorités politiques peuvent entrer en concurrence. Les questions relatives à la vie privée peuvent être dominantes dans un domaine spécifique et non dans un autre. Par exemple, les aspirations à l’amélioration de la compétitivité, portées par les acteurs industriels, concurrencent les préoccupations en matière de protection de données de sécurité des organisations citoyennes. Dans certains cas, les décideurs politiques peuvent s'associer avec l’un ou l’autre groupe en vue d’élaborer des politiques, à l’instar de la coopération entre Facebook et le Gouvernement britannique pour la conception de la politique sur l'IA.
  • Le débat sur la gouvernance algorithmique tend à se dérouler dans des cercles politiques et médiatiques spécialisés.
  • Selon les enquêtes menées, les citoyens sont ouverts à l'exploration du rôle de l'IA. Toutefois, la prudence dans la gestion et le développement d’une telle technologie est avancée comme une condition nécessaire.
  • L'analyse empirique a identifié un certain nombre de moyens par lesquels les institutions gouvernementales cherchent à préparer l'ère algorithmique. Ces moyens comprennent la publication de connaissances scientifiques provenant d'experts internes au gouvernement, la commande de conseils éthiques et d’analyses externes, l'organisation de rencontres délibératives avec le public, les sondages d'opinion, la consultation publique formelle, la création de nouvelles institutions publiques et l'investissement au sein de secteur industriel.
Messages clés pour la politique et la pratique
  • Dans la littérature sur la gestion publique, l'évolution technologique, particulièrement la gouvernance numérique, reste peu étudiée et sous-théorisée. Ce constat est d’autant plus problématique que les défis technologiques auxquels sont confrontés les praticiens de l'administration publique sont de plus en plus nombreux et complexes.
  • Les autorités publiques doivent développer de nouvelles réglementations et mettre à jour le cadre juridique existant.
  • Pour les défis algorithmiques qui ne testent pas les limites de la compréhension humaine, il est nécessaire de procéder à une analyse sectorielle préalable afin d’identifier les défis et les risques potentiels.
  • Les régulateurs doivent prêter attention à la manière dont les problèmes sont construits par les acteurs du marché, notamment les grandes entreprises technologiques. Les algorithmes dont le fonctionnement soulève des questions qui remettent en cause la compréhension humaine, souvent identifiés comme des « boîtes noires », doivent être considérés comme des problèmes complexes et traités comme tels.
Méthode et limites de la recherche
  • Cette recherche est une revue de la littérature.
  • La publication repose sur l’analyse qualitative de documents et d'articles universitaires, d’informations documentaires tels que des documents gouvernementaux et législatifs, de contenu médiatique, d'enquêtes et de rapports de cabinets de conseil et d'organisations d'entreprises.
  • L’identification des risques algorithmiques est basée sur une approche inductive. Au cours de l’analyse, le chercheur s’est concentré sur les problèmes complexes rencontrés par les administrateurs publics.
  • Aucune limite de la recherche n’a été mentionnée dans la publication.
Financement de la recherche

Il n’y a pas d’information concernant le financement dans l’article.