Les villes intelligentes et la gouvernance : observations de quatre cas européens

Nesti, G. (2020). Définir et évaluer la nature transformationnelle de la gouvernance des villes intelligentes: observations issues de quatre cas européens. Revue Internationale des Sciences Administratives, 86(1), 23-40.

Contexte

Les villes intelligentes représentent une approche innovante en matière de développement urbain qui combine l’utilisation intensive de technologies de l’information et de la communication (TIC), la protection de l’environnement, le développement économique et l’innovation. Or, comme cette approche suppose de nombreux changements organisationnels, on peut se questionner à savoir si elle exige également des changements de pratiques administratives et en matière de gouvernance. Pour répondre à cette question, le chercheur étudie quatre villes intelligentes européennes dans une perspective comparative : Amsterdam, Barcelone, Turin et Vienne.

Définition

La notion de ville intelligente étant relativement récente, aucune définition unique n’existe. Le chercheur identifie toutefois trois axes communs aux définitions : 1) les technologies, 2) les ressources humaines et 3) la gouvernance. En somme, une ville intelligente est une ville ayant la capacité d’attirer le capital humain et de  mobiliser  différents acteurs en recourant aux TIC. Finalement, la gouvernance urbaine fait référence au processus collaboratif entre les acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux dans l’élaboration des politiques publiques municipales.

Résultats
  • Trois motivations principales poussent les villes à devenir intelligentes : 1) la mise en place de meilleures politiques environnementales, 2) la croissance économique et le renforcement de l’économie locale ainsi que 3) l’amélioration de la qualité de vie des citoyens.
  • Le mode de gouvernance adopté par la ville intelligente est déterminé par les objectifs définis entre les acteurs politiques, la nature du débat politique entre les partis politiques municipaux ainsi que le degré de collaboration et d’inclusion entre l’administration municipale, les groupes d’intérêt et les citoyens.
  • Bien qu’il y ait une variété de modalités, les villes intelligentes partagent un certain nombre de caractéristiques en matière de gouvernance :
    • La direction est assurée par des acteurs publics (un maire à Barcelone, un conseil exécutif à Turin ou des fonctionnaires à Amsterdam et Vienne). Les acteurs politico-administratifs sont cruciaux pour concilier des intérêts et pour définir une vision partagée sur la ville intelligente.
    • La participation publique est au cœur de la ville intelligente. Une grande variété d’acteurs collabore pour définir et pour mettre en œuvre la stratégie pour une ville intelligente. La participation des entreprises est particulièrement encouragée puisqu’elle permet d’obtenir des investissements et de bonifier l’économie locale.
    • Les principaux outils stratégiques mobilisés pour gérer la collaboration entre les acteurs publics et privés sont les quasi-marchés ou des partenariats public-privé. L’exemple phare est celui des laboratoires vivants.
  • Les quatre villes étudiées ont reconnu que l’implantation d’une stratégie de ville intelligente a nécessité une réorganisation pour venir à bout de la « pensée cloisonnée » et pour faire de la place à de nouvelles parties prenantes. Ainsi, ils ont dû revoir leurs processus et leurs structures afin de s’adapter aux besoins de cette approche et avoir davantage de flexibilité pour gérer la collaboration et éviter la fragmentation.
  • À l’heure actuelle, on ignore si les nouveaux modèles de gouvernance des villes intelligente ont réellement produit une transformation profonde de l’administration locale, amélioré la prise de décision et atteint les résultats escomptés.
Messages clés pour la politique et la pratique
  • La gouvernance intelligente suppose l’adoption d’une nouvelle approche basée sur l’expérimentation, la collaboration avec les acteurs locaux et la réorganisation des structures gouvernementales existantes.
  • L’implantation de cette gouvernance doit être dirigée par des acteurs publics et s’appuyer sur des outils adaptés afin de gérer les interactions, favoriser la coordination, renforcer la légitimité démocratique et l’imputabilité ainsi que garantir des résultats tangibles pour les citoyens.
  • Quelques défis ont été identifiés :
    • La mise en œuvre efficace d’outils stratégiques permettant la collaboration nécessite un environnement réglementaire adapté et une tolérance au risque chez les élus, sans quoi les projets ne voient pas le jour.
    • Les villes intelligentes ont une faible légitimité démocratique puisqu’elles enlèvent du pouvoir aux citoyens pour le redistribuer à des acteurs privés comme des entreprises. Il faut donc démontrer aux citoyens la valeur ajoutée que peuvent avoir les villes intelligentes dans la résolution de problèmes urbains ainsi que dans le renforcement de l’imputabilité et de la légitimité démocratique.
    • Les projets de villes intelligentes ont un problème de pérennité puisqu’ils finissent souvent par manquer de financement ou de ne pas dépasser le stade de l’expérimentation.
Méthode et limites de la recherche
  • Il s’agit d’une recherche qualitative.
  • La publication mobilise deux sources de données : 1- des documents recueillis sur le site web des municipalités étudiées et 2- des entretiens semi-dirigés conduits avec des acteurs clés (p. ex. élus, fonctionnaires, chercheurs, entreprises, etc.).
  • Les documents ainsi que les entretiens ont fait l’objet d’une analyse de contenu afin d’identifier des extraits correspondants aux caractéristiques de la gouvernance urbaine et de permettre une comparaison entre les quatre municipalités.
  • L’étude analyse des villes en Europe. Le contexte politique dans lequel elles se trouvent diffère de la réalité québécoise. Par conséquent, les comparaisons peuvent être limitées.
Financement de la recherche

La publication a été financée par l’Université de Padoue (Italie). Le numéro de subvention est le CPDA 135388.