Les préférences envers les collègues télétravailleurs dans les organisations publiques

Mele, V., Bellé, N., & Cucciniello, M. (2021). Thanks, but no thanks. Preferences towards teleworking colleagues in public organizations. Journal of Public Administration Research and Theory.

Contexte

Au cours des dernières décennies, l’arrivée du télétravail a été l’un des changements professionnels les plus marquants pour les organismes gouvernementaux. Toutefois, la recherche est relativement limitée sur les effets de cette innovation sur les télétravailleurs et, davantage encore, sur les non-télétravailleurs. Les chercheurs en administration publique ont négligé les dynamiques relationnelles entre les employés engendrées par le télétravail. Cette problématique est au cœur de cette publication qui analyse les préférences des non-télétravailleurs envers leurs collègues télétravailleurs et ce, par le biais d’une méthodologie mixte. La recherche a été effectuée dans une administration locale en Italie, qui a été pionnière du télétravail et qui continue d’offrir cette option à ses employés.

Définition

Le télétravail est un arrangement alternatif par lequel les employés travaillent physiquement en dehors de leur lieu de travail habituel, en utilisant des technologies de l’information et de communications (TIC). Le télétravail se caractérise par une frontière floue que cette modalité de travail entraîne entre la vie professionnelle et privée, ce qui peut présenter certains défis pour les processus et l’éthique du gouvernement. Le télétravail est considéré comme une politique conciliante en matière d’équilibre travail-famille. En outre, le télétravail est associé à la mobilité urbaine durable, puisqu’il réduit le temps de déplacement des employés.

Résultats
  • L’introduction du télétravail a été justifiée comme la conséquence d’un progrès technologique inéluctable ainsi qu’une réponse aux besoins légitimes des travailleurs.
  • Le profil du collègue préféré par les répondants de l’organisation publique est celui d’une femme, plus jeune, sans enfants, qui travaille à temps plein et qui n’est pas en télétravail.
  • Les télétravailleurs ont 58,5 % moins de chances d’être sélectionnés comme type de collègue préféré que les non-télétravailleurs par les répondants.
  • L’opposition au télétravail est légèrement plus forte chez les hommes que chez les femmes.
  • Le statut de télétravail demeure l’attribut avec le coefficient négatif le plus élevé au sein de chacune des catégories. Cependant, une exposition plus grande aux collègues télétravailleurs semble atténuer, sans éliminer, la préférence envers des collègues potentiels non-télétravailleurs. Les participants de l’expérience préfèrent un collègue à temps partiel à un collègue à temps plein qui serait en télétravail trois jours sur cinq.
  • Les groupes d’âge extrêmes (moins de 35 ans et plus de 60) ont tendance à être plus opposés au télétravail que le reste des employés. L’expérience compte toutefois moins de 10 % de répondants compris dans les deux groupes d’âge extrêmes.
  • Les résultats de la phase qualitative sont divisés en quatre thèmes : les conditions contextuelles liées à l’introduction du télétravail ainsi que les effets négatifs du télétravail sur les non-télétravailleurs, sur les télétravailleurs et sur le collectif de travail.
  • L’effet du télétravail sur les non-télétravailleurs est l’augmentation de la charge de travail pour compenser l’absence des télétravailleurs (p. ex les non-télétravailleurs doivent interagir avec les citoyens qui viennent au bureau).
  • Les effets du télétravail sur les télétravailleurs sont l’isolement professionnel (exclusion des tâches requérant une interaction constante), l’isolement personnel (diminution des interactions humaines avec les collègues) ainsi que l’éloignement permanent (les non-télétravailleurs opèrent sans les télétravailleurs).
  • Les effets du télétravail sur le collectif de travail sont une baisse des performances au travail (diminution de l’accessibilité des télétravailleurs, impacts négatifs sur le processus décisionnel, flexibilité réduite pour la réalisation des activités d’équipe), la réduction de l’épanouissement professionnel et social ou encore l’inadéquation entre les tâches organisationnelles et le télétravail.
Messages clés pour la politique et la pratique
  • Le télétravail deviendra un pilier de la réalisation du travail dans les administrations publiques.
  • Les stratégies conventionnelles pour atténuer les effets négatifs du télétravail se sont concentrées sur l’alternance entre le travail à distance et la présence au bureau. Cette alternance ne semble pas être concluante selon les résultats de la présente publication.
  • Deux stratégies peuvent atténuer les effets négatifs du télétravail :
    • Mettre l’accent sur le collectif de travail en tant qu’ensemble, et non le diviser en silos.
    • Faciliter une meilleure intégration et socialisation entre collègues pendant que certains travaillent à distance, au lieu de compter sur le temps que les télétravailleurs passent au bureau.
  • Les chercheurs recommandent de ne pas fragmenter le flux travail en tâches isolées, mais plutôt d’intégrer les contributions des télétravailleurs dans le flux de travail régulier.
  • L’utilisation de technologies qui facilitent la communication informelle et l’accessibilité est recommandée.
  • La promotion d’une ambiance de travail où les échanges entre collègues sont acceptés socialement, quel que soit leur lieu de travail, est recommandée.
  • Afin de contrecarrer les effets négatifs du télétravail comme l’éloignement permanent et la perte de socialisation sur le lieu de travail, des investissements tangibles ainsi que des changements au modus operandi de l’organisation publique sont nécessaires.
Méthode et limites de la recherche
  • L’équipe de recherche a utilisé une méthode mixte séquentielle. Elle est composée de trois phases : une exploration préliminaire (qualitatif), une expérience de choix discret (quantitatif) et des entretiens de recherche (qualitatif). La période de recherche s’est déroulée de 2016 à 2018.
  • Le contexte de la recherche est une administration locale dans le nord de l’Italie qui offre une variété de services (p. ex., santé, éducation, emploi, transports). Cette organisation publique a commencé à implanter le télétravail en 2011 et compte environ 4000 employés (2016) dont 3380 sont éligibles pour le télétravail et 400 travaillaient en télétravail, deux ou trois jours par semaine.
  • Lors de l’exploration préliminaire, les chercheurs ont collecté et analysé des études de faisabilité, des rapports de projet annuel, du matériel de formation, des communiqués de presse et des résultats de sondages internes des employés en télétravail. Après une analyse documentaire approfondie, les chercheurs ont mené 12 entrevues semi-dirigées avec les gestionnaires des ressources humaines, les gestionnaires responsables du télétravail, le chef du service informatique et quelques télétravailleurs.
  • 1014 employés non-télétravailleurs ont participé à l’expérience de choix discret. Elle consiste en une série d’alternatives et les répondants doivent indiquer, entre deux choix, leur alternative préférée. Les répondants effectuaient l’expérience en ligne.
  • Les résultats de la recherche doivent être interprétés à la lumière des limites suivantes :
    • La participation à cette recherche était volontaire.
    • L’échantillon est constitué seulement de non-télétravailleurs.
    • L’échantillonnage ciblé pour les entretiens semi-dirigés comprenait seulement des employés qui avaient une préférence envers un collègue potentiel non-télétravailleur.
Financement de la recherche

La publication ne compte aucune information concernant le financement de la recherche.