Les limites de l’utilisation des systèmes d’information électroniques dans les services de protection de l’enfance

Devlieghere, J., Roose, R. (2019). Documenting practices in human service organisations through information systems: When the quest for visibility ends in darkness. Social Inclusion7(1), 207-217.

Contexte

Depuis l’avènement des technologies de l’information et de la communication (TIC), les gouvernements investissent dans les systèmes d’information électroniques en vue de résoudre des problèmes sociaux et organisationnels tels que celui de la transparence. En permettant de mieux documenter les actions des travailleurs sociaux, ces systèmes aideraient donc à améliorer la transparence des services humains. Les auteurs argumentent que, bien que les travailleurs sociaux croient que ces systèmes sont bénéfiques pour la transparence, ils semblent empêcher une compréhension nuancée de l’histoire des usagers, résultant ultimement en un manque de transparence dans la pratique. Ce texte porte sur l’utilisation du système d’information électronique par les travailleurs sociaux flamands (Belgique) pour améliorer la transparence de leurs services et les obstacles auxquels ils font face. 

Définitions

La première notion centrale dans cette publication est celle du managérialisme. Cette notion fait référence à une combinaison d’outils et de connaissances génériques de gestion avec l'idéologie pour s'établir de façon systémique dans les organisations, les institutions publiques et la société. Apparu à la suite de la crise économique des années 1980, le managérialisme prône l’importation des pratiques du secteur privé dans le secteur public afin d’améliorer son efficacité. Un élément central du managérialisme consiste précisément à créer la transparence afin d'améliorer la mesure des performances et d'accroître l'efficacité pour augmenter la productivité et imposer une discipline financière stricte dans le but de réduire les coûts des dépenses publiques.

La seconde notion centrale est celle de système d’information électronique, c’est-à-dire  un système qui a la capacité et le potentiel d'aider les clients à raconter leur histoire, ce qui, à son tour, peut conduire à une meilleure compréhension et visibilité de la situation d'un utilisateur de services.

Résultats
  • Premièrement, selon les participants, le système d'information électronique aide les organes législatifs et les services sociaux à mieux comprendre l’émergence et l’évolution des problématiques rencontrées par les travailleurs sociaux.
  • Deuxièmement, l’analyse des entretiens a mis en évidence que les gestionnaires et les praticiens de première ligne tendent à utiliser les systèmes d'information électroniques pour rendre le processus de soins plus transparent, c’est-à-dire pour détailler les actions et les décisions prises par les différentes parties prenantes au cours de ce processus.
  • Troisièmement, les responsables de première ligne et les travailleurs sociaux ont exprimé des préoccupations concernant l'utilisation du système d’information électronique en général et l'utilisation d'INSISTO et d'A-DOC dans leur pratique quotidienne. Pour information, INSISTO constitue un système d’information électronique mis en œuvre, en 2104, en Flandre (Belgique), tandis que A-DOC qualifie un document électronique standardisé à remplir par le praticien. Dans les faits, chaque organisation ayant ses spécificités, l’utilisation du système d'information électronique ne permet pas de dresser un portrait nuancé des pratiques. À ce titre, plusieurs responsables de première ligne de ces services se sentent limités dans le développement de leurs services à la personne et craignent également que le système d’information électronique n'entrave les relations humaines.
  • Quatrièmement, au cours des entretiens, les responsables de première ligne et les travailleurs sociaux ont expliqué que la mise en œuvre de systèmes d'information électroniques les incite à élaborer des stratégies de résistance. De telles stratégies se traduisent par des actions invisibles et non transparentes pour les utilisateurs des services, les collègues, les autres services sociaux et les organes législatifs.
  • Cinquièmement, étant donné que seules les informations ayant été soumises par le biais d’un système d’information électronique sont considérées comme pertinentes et transparentes, certains responsables de première ligne craignent que les systèmes d'information électroniques ne deviennent la « source unique de vérité ».
  • Sixièmement, la mise en œuvre d'un système d’information électronique transparent peut reposer sur une approche fondée sur la pratique impliquant l’ensemble des parties prenantes.
    • La première question est l’identification des différentes pistes d’amélioration au sein des services sociaux. Cette approche prend en compte les impacts du système d'information électronique sur les prestations des travailleurs sociaux.
    • Le principal avantage d'une telle approche est l’ouverture du dialogue entre les utilisateurs du système d'information électronique et les décideurs de l’organisation.
Messages clés pour la politique et la pratique
  • Bien qu’ils reconnaissent les potentialités du système d’information électronique, les responsables de première ligne et les travailleurs sociaux admettent qu’un tel système peut entraver le développement de la transparence dans la pratique quotidienne.
  • D'après les responsables de première ligne de ces services, il est nécessaire de dresser un portrait nuancé et transparent de la trajectoire de service.
  • De nombreux responsables de première ligne et travailleurs sociaux se sont sentis poussés à ne pas respecter les réglementations et à élaborer des stratégies de résistance.
  • La promotion de la transparence. dans un contexte où les systèmes d'information électroniques jouent un rôle important, pourrait être réalisée en suivant une approche fondée sur la pratique et impliquant l’ensemble des parties prenantes.
Méthode et limites de la recherche

Au total, 20 services de protection de l’enfance dans la région flamande (Belgique) (12 centres de conseil aux élèves et huit centres de soins spéciaux pour les jeunes) ont participé à l’étude. Les responsables de première ligne de ces services ont été interrogés dans le cadre d’entretiens semi-structurés sur leur lieu de travail. Ces entretiens ont duré entre 45 minutes et deux heures. Des entretiens ont aussi été menés dans les cinq équipes d’évaluation des besoins en Flandre. 17 professionnels (cinq psychologues, un criminologue, trois éducateurs et huit travailleurs sociaux) ont été contactés par courriel. 16 entretiens semi-structurés qualitatifs, durant environ une heure, ont été menés. La recherche s’est déroulée de 2014 à 2017. Une analyse thématique des données collectées a été conduite au moyen du logiciel NVivo 10. Aucune limite n’a été mentionnée par les auteurs au sein de la publication.

Financement de la recherche

Il n’y a pas d’information concernant le financement dans l’article.