Les enjeux pour l’activité humaine et la relation humain‑machine au travail

Zouinar, M. (2020). Évolutions de l’Intelligence Artificielle : quels enjeux pour l’activité humaine et la relation Humain‑Machine au travail ? Activités, 17(1).

Contexte

De plus en plus de secteurs d’activité sont concernés par l’introduction de différentes formes d’intelligence artificielle (IA) dans un contexte professionnel. L’IA englobe différents champs d’application tels que l’automatisation de tâches, les relations client, la logistique, l’analyse prédictive, le diagnostic ou encore l’analyse de grandes bases de données. Les technologies de l’IA sont perçues comme pouvant générer de nombreux bénéfices, notamment en termes de performance et de productivité en réalisant des tâches fastidieuses, pénibles ou répétitives. Selon certains spécialistes, l’IA permettrait de concentrer les tâches des employés sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Cette revue de la littérature traite des questions suivantes : 1) quels sont les nouveaux enjeux et les nouvelles questions soulevées par ces évolutions de l’IA dans le domaine du travail ? ; 2) Quels sont les thèmes émergents ? ; 3) Quelles sont ou seront les conséquences de ces évolutions sur les activités humaines dans les milieux professionnels?

Définitions

L’IA est définie comme les machines, algorithmes ou programmes qui s’inspirent ou tentent de reproduire des facultés humaines comme la compréhension du langage naturel, la reconnaissance d’objets visuels ou le raisonnement dans ses différentes formes.

Un système expert est un système qui vise à reproduire l’expertise cognitive d’un humain, en particulier ses raisonnements et ses connaissances dans un domaine particulier. L’expertise est modélisée comme un ensemble de règles de type « si-alors ».

L’apprentissage machine consiste à ce qu’une machine apprenne à réaliser des tâches en l’entraînant sur des données du domaine concerné (par exemple, identifier des images qui comportent des voitures).

L’apprentissage profond est une technique qui se distingue par l’utilisation de plusieurs couches de réseaux de neurones artificiels qui extraient et traitent de manière successive des informations spécifiques d’une entrée (par exemple, une image).

Résultats
  • À court et moyen terme, l’utilisation de systèmes IA impliquera surtout des formes d’automatisation partielle.
  • Dans un rapport publié par le National Science and Technology Council des États-Unis, trois formes de collaboration entre l’humain et l’IA sont définies :
      • l’IA prend en charge des tâches périphériques (analyse prédictive, récupération d’informations).
      • l’IA intervient lorsque l’humain est surchargé en réalisant des tâches complexes (supervision, contrôle, prise de décision).
      • l’IA réalise des tâches à la place de l’humain lorsque les capacités humaines sont insuffisantes (traitement de données massives, opérations mathématiques complexes).
  • Une première approche en matière de relation humain-machine est celle de McAfee et Brynjolfsson (2017). Ceux-ci soutiennent la complémentarité entre le jugement humain et les algorithmes en inversant le partenariat traditionnel entre machines et humains.
      • Le jugement humain devrait servir de données pour les algorithmes. Les tâches susceptibles d’être automatisées devraient être déléguées aux machines quitte à laisser l’humain hors de la boucle de prise de décision.
      • Cette approche est justifiée par la distinction de Kahneman entre deux systèmes de pensée chez l’humain. Le système 1, la pensée rapide intuitive, pour laquelle les émotions jouent un rôle important ; le système 2 correspond à la pensée basée sur le raisonnement logique.
      • Cette approche est problématique car elle peut mener à une perte d’expertise humaine, à une difficulté de réparer le système en cas d’imprévu et à une diminution de la compréhension de la situation professionnelle.
  • Une deuxième approche est celle de l’augmentation ou de collaboration. L’IA est vue comme un assistant aux activités. La relation humaine/IA est conceptualisée comme un travail d’équipe.
      • Les professions qui requièrent du leadership, de la créativité ou une capacité à évaluer les situations de façon globale continueront d’être réalisées par des humains.
      • L’humain peut augmenter la machine en l’alimentant en données, en définissant la bonne stratégie d’apprentissage qui lui permettra d’atteindre le niveau de performance recherché.
  • Une troisième approche est celle de la symbiose, qui signifie au sens biologique une relation symbiotique impliquant une coévolution, une association émergente, intime et durable entre deux organismes autonomes. Certains chercheurs remettent en question ces approches qui symétrisent l’humain et la machine ; qui laissent supposer que les machines disposent des mêmes capacités que l’humain à collaborer ou à coopérer.
  • Une quatrième approche est celle de l’interdépendance vis-à-vis des partenaires humains. Le risque est de rendre l’humain totalement dépendant des machines et d’affecter son autonomie. La nature de la nouvelle génération de systèmes IA basée sur l’apprentissage machine et profond soulève des questions concernant l’évolution de la relation humain/IA :
  • Une cinquième approche est celle du co-développement dans laquelle l’humain apprend de l’IA et inversement.
  • Une sixième approche est d’envisager l’IA dans une perspective centrée sur l’humain. C’est une optique de contrôle et le but est d’optimiser la réalisation des tâches (Amazon a implémenté un bracelet qui surveille les mouvements des employés pour s’assurer qu’ils sont actifs).
Messages clés pour la politique et la pratique
  • Maintenir une perspective d’IA centrée sur l’humain est fondamental. Cela est possible en :
    • Concevant les systèmes d’IA comme des assistants cognitifs ou physiques.
    • Considérant les possibilités et l’intérêt de l’automatisation avec ce principe d’aide.
    • Veillant à ce que les systèmes ne deviennent pas une source additionnelle de tâches à réaliser.
    • Concevant des systèmes dont les actions sont intelligibles ou explicables par les acteurs concernés.
    • Faisant en sorte que les humains aient une capacité de contrôle sur les systèmes.
    • Mettant en œuvre une conception participative et itérative.
Méthode et limites de la recherche
  • Cette publication est une publication théorique qui s’appuie sur une revue de la littérature. La première partie présente une brève histoire de l’IA, en décrivant les étapes de son développement et ses évolutions récentes. La deuxième et la troisième partie sont consacrées aux questions et enjeux soulevés par les évolutions récentes de l’IA en rapport avec le travail. La troisième partie est consacrée à « l’explicabilité » ou « interprétabilité » des systèmes d’IA, qui renvoie de façon générale à la compréhension ou intelligibilité de leur fonctionnement et de leurs « décisions » ou actions.
  • Aucune limite n’est identifiée dans la publication.
Financement de la recherche

La publication ne compte aucune information relative à son financement.