La perception des agents publics au sujet de la justice procédurale des algorithmes

Nagtegaal, R. (2021). The impact of using algorithms for managerial decisions on public employees’ procedural justice. Government Information Quarterly, 38(1).

Contexte

Les avancées technologiques favorisent l’utilisation d’algorithmes dans les processus de prise de décisions des agents publics. Leur utilisation a le potentiel d’optimiser certains processus (p. ex., définir le tracé d’une collecte des ordures, prioriser les bâtiments à inspecter) ou encore de faciliter la prise de décision. Cependant, cela ne se fait pas sans soulever certaines questions, notamment en matière de biais, de pertinence et de délégation du pouvoir. En raison de la présence d’un pouvoir discrétionnaire chez les agents publics, c’est-à-dire le pouvoir de dévier des règles et des normes établies pour adapter une décision au contexte, l’utilisation d’algorithmes ne se prête pas à toutes les situations (ex : un douanier peut décider d’interroger un voyageur s’il perçoit des signaux non-verbaux ou des incohérences dans son récit). De surcroît, la délégation de la décision algorithmique n’est possible que si les algorithmes sont perçus comme étant légitimes par les fonctionnaires. Le chercheur vise alors à identifier les contextes et modalités propices à une utilisation efficace et légitime des algorithmes en matière d’aide à la décision.

Définition

La justice procédurale est une valeur centrale de l’action publique, notamment en matière de décision algorithmique. La justice procédurale réfère à la perception de justesse qu’ont les individus du processus de prise de décision et ce, indépendamment de leur perception de la décision émanant du processus. Ainsi, un individu peut être en désaccord avec le résultat, mais si ce résultat provient d’un processus juste, il ne s’y opposera pas systématiquement. Cette perception de justesse est influencée par de nombreux facteurs tels que la précision, la constance, l’éthique, la minimisation des biais, la représentativité ainsi que le caractère correctible des décisions prises. La justice procédurale est importante pour les organisations publiques puisqu’elle a un impact sur la satisfaction, l’engagement, la confiance et la performance des agents publics.

Résultats
  • La perception de l’algorithme dans la prise de décision varie en fonction du degré de complexité de la situation.
    • Lorsque la complexité est faible (p.ex., la fixation d’un per diem pour un employé), les algorithmes sont préférés aux gestionnaires. En effet, ces derniers sont perçus comme étant subjectifs et biaisés alors que les algorithmes sont perçus comme étant objectifs.
    • Lorsque la complexité est grande, les algorithmes sont acceptés comme un outil d’aide à la décision.
    • Dans les situations complexes (p. ex., l’évaluation du rendement d’un employé), les gestionnaires seuls, ou en collaboration avec les algorithmes (formule hybride), sont préférés aux algorithmes seuls. Dans de tels contextes, les gestionnaires peuvent utiliser leur intelligence émotionnelle dans leur prise de décision, ce que les algorithmes ne sont pas en mesure de faire.
  • La présence d’un gestionnaire pour confirmer la décision d’un algorithme est perçue positivement et ce, même dans les cas peu complexes.
  • Lorsque les variables à analyser sont difficilement quantifiable (p. ex., les habiletés sociales comme la compassion ou la créativité), les algorithmes atteignent leurs limites.
Messages clés pour la politique et la pratique
  • La perception de justice procédurale des fonctionnaires est davantage affectée lorsque les algorithmes remplacent le gestionnaire. Cependant la direction de ce changement dépend du degré de complexité de la situation.
  • La délégation à la prise de décision algorithmique est recommandée pour les situations faiblement complexes et non pas pour les situations hautement complexes.
  • L’hybridation de la prise de décision entre les gestionnaires et les algorithmes augmente la perception de justice procédurale pour les situations simples, sans affecter négativement cette perception pour les situations complexes.
  • Pour contrer la résistance envers les algorithmes, il est recommandé de faire preuve d’une grande transparence et de fixer des attentes précises sur les algorithmes. Il faut toutefois s’assurer que ce ne soit pas qu’une apparence de transparence; il faut informer sur le fonctionnement de l’algorithme.
Méthode et limites de la recherche
  • Cette publication est basée sur deux études empiriques expérimentales.
  • La première expérience a mobilisé un groupe de 109 fonctionnaires néerlandais qui ont reçu, au hasard, deux scénarios de complexité différente mais avec la même configuration de dynamique gestionnaire-algorithmes. Les participants étaient ensuite invités à évaluer le niveau de justice procédurale de chaque scénario et d’expliquer leur choix. La deuxième étude visait à vérifier la généralisation des résultats. Un groupe de 126 fonctionnaires britanniques ont reçu une multitude de scénarios avec toutes les dynamiques gestionnaire-algorithmes possibles. Ils étaient invités à évaluer le niveau de justice procédurale de chaque option et d’en justifier leur choix.
  • Dans les deux cas, les mises en situation ont été acheminées aux participants par courriel sous forme d’un questionnaire Qualtrics. Les données ont ensuite fait l’objet d’une analyse quantitative et qualitative impliquant une analyse de discours des justifications des participants ainsi que des analyses de variance (ANOVA).
  • Cette recherche comporte deux limites. La première vient du fait que le design de l’étude traite la complexité comme elle se présente dans la pratique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas décomposée dans sa dimension technique et normative. Il est ainsi difficile d’évaluer la présence de liens causaux entre les dimensions. La deuxième vient du fait que les fonctionnaires sélectionnés étaient tous issus du même secteur, c’est-à-dire celui des fonctionnaires de bureau et de service à la clientèle. Les résultats ne sont donc pas généralisables à d’autres secteurs comme l’éducation, la santé ou la sécurité publique.
Financement de la recherche

Il n’y a pas d’information concernant le financement dans la publication.