La neutralité politique des fonctionnaires à l’ère numérique

Cooper, C. (2020). Fonctionnaires, anonymat et activité politique en ligne : la neutralité bureaucratique est-elle en danger? Revue Internationale des Sciences Administratives, 86, 519-535. 

Contexte

La neutralité politique des fonctionnaires est une valeur cardinale de l’administration publique moderne. La neutralité est codifiée au sein du code d’éthique de la plupart des fonctions publiques occidentales. Cette neutralité vise, avant tout, à conférer une protection d’emploi lors de changement de gouvernement et à assurer l’entière collaboration de la fonction publique au gouvernement en place. Toutefois, l’avènement des réseaux sociaux met à mal ce principe puisqu’il devient facile d’identifier les fonctionnaires ainsi que leurs opinions politiques via les interactions qu’ils ont eues avec les autres utilisateurs. Cette publication vise à enrichir les connaissances sur la relation entre fonctionnaires canadiens et activités politiques en ligne puisque très peu d’études empiriques existent sur le sujet. Plus précisément, l’auteur tente de déterminer s’il existe une corrélation positive entre le fait d’être fonctionnaire et de mener des activités politiques en ligne ainsi que les effets de l’affiliation syndicale sur ces activités.

Définition

Deux concepts sont définis. Premièrement, la neutralité politique de la fonction publique canadienne implique que les fonctionnaires doivent s’abstenir de toute activité politique susceptible de porter atteinte à leur réputation d’impartialité (ou neutralité); les dons et l’affiliation à un parti ou un candidat sont toutefois permis. Deuxièmement, les réseaux sociaux sont un groupe d’applications en ligne qui se fondent avec la technologie du Web 2.0. De tels réseaux permettent la création et l’échange du contenu généré par d’autres utilisateurs.

Résultats
  • Les réseaux sociaux complexifient la séparation entre l’identité privée et professionnelle. Les activités en ligne peuvent être vues par les collègues, les employeurs et le grand public. De plus, la rapidité et la facilité du partage de contenu fait perdre le contrôle du message initial.
  • L’affiliation à un syndicat n’a pas d’influence sur l’activité politique d’un fonctionnaire.
  • L’adhésion syndicale fait toutefois diminuer les probabilités, pour un fonctionnaire, d’être politiquement actif en ligne, sans pour autant que cela soit statistiquement significatif. Cette baisse est de 11% lors de conversations en ligne avec une connaissance (p = 0,01) et de 6% avec les inconnus (p = 0,11).
  • Ce constat contraste avec les résultats du secteur privé puisque, dans leur cas, l’adhésion syndicale augmente la probabilité d’être politiquement actif en ligne de 13% (p = 0,01).
Messages clés pour la politique et la pratique
  • En raison de leur grande visibilité et de leur caractère permanent, les activités politiques des fonctionnaires sur les réseaux sociaux ont le potentiel de porter atteinte à leur réputation de neutralité.
  • Certaines administrations publiques et syndicats de la fonction publique, tels que la Commission de la fonction publique et l’Alliance de la fonction publique du Canada, ont émis des appels à la prudence face aux conséquences potentielles des activités politiques en ligne;
  • Selon cette publication, ces appels à la prudence ont porté fruits puisque le fait d’être syndiqué réduit la probabilité d’être politiquement actif en ligne, sans avoir d’effets sur les activités politiques traditionnelles (hors ligne).
Méthode et limites de la recherche
  • Il s’agit d’une recherche mixte mobilisant une revue de la littérature et une régression logistique.
  • Les données qualitatives proviennent des règlements et des communications sur l’activité politique des fonctionnaires canadiens ainsi que de la littérature sur la motivation de service public. Les données quantitatives proviennent de l’enquête menée dans le cadre de l’Étude électorale canadienne de 2015. Les répondants devaient préciser leur secteur d’emploi (public vs privé) ainsi que leur adhésion ou non à un syndicat.
  • Deux modèles ont été développés et analysés, soit un pour chacune des hypothèses. Ils ont été analysés à l’aide d’une régression logistique s’intéressant aux activités politiques (marches, boycott de produits, discussion politique en ligne et en personne) des travailleurs en fonction de leur secteur d’emploi (privé ou public) et leur adhésion ou non à un syndicat.
  • Le fait d’utiliser les données de l’Étude électorale canadienne de 2015 pose certains problèmes. D’une part, aucune distinction n’est faite entre les différentes fonctions publiques (fédérale, provinciale ou municipale), ce qui complique l’interprétation puisque les différents paliers de gouvernement peuvent accorder une importance différente à la neutralité ou l’encadrer à l’aide de normes différentes. Un manque de différenciation se fait aussi du côté du secteur privé puisqu’il n’y a pas de catégorie OBNL ou entreprise à but lucratif; les valeurs des employés et leur politisation peut varier entre ces deux types de structure.
Financement de la recherche

Il n’y a pas d’information concernant le financement dans la publication.