La construction d’un client numérique en travail social

Barfoed, E. M. (2019). Digital clients: An example of people production in social work. Social Inclusion, 7(1), 196–206

Contexte

L’article présente l'outil d'évaluation standardisé Addiction Severity Index (ASI). Cet indice de gravité de la toxicomanie est utilisé par les travailleurs sociaux pour mesurer les dépendances et les effets de la consommation d’alcool et de drogues. Il permet d’identifier les besoins et les risques pour les usagers. Après avoir constaté la réticence des travailleurs sociaux à utiliser les résultats produits par l’outil sous forme de codes binaires (0 et 1), une application a été développée par le gouvernement suédois pour mieux s’adapter à la nature du travail social qui part souvent de la parole des usagers. Cette application transforme les codes binaires en un récit numérique (Storyline) plus facile à intégrer dans les enquêtes sur les clients.

L’article analyse le contexte de production du récit numérique et ses conséquences sur la construction du « client numérique » et sur la manière dont le travail social est structuré.

Définition

L’ASI est un exemple d’outil numérique multifonctionnel utilisé par les organisations publiques pour répondre aux besoins d’acteurs variés. Les données collectées lors d’entrevues avec les usagers sont encodées dans une base de données par les travailleurs sociaux qui complètent un formulaire numérique standardisé. L’ASI permet alors de classer les individus et de créer des catégories en fonction des questions et de choix de réponses prédéfinis dans le système. En plus d’être un outil pour évaluer les besoins individuels de soins pour les toxicomanes, l’ASI permet de générer des données statistiques au niveau institutionnel et national. Ces données peuvent aussi être utilisées à des fins de recherche sur la santé et le bien-être.
 

Résultats
  • Il est difficile d’harmoniser les besoins des travailleurs sociaux et les situations individuelles des clients avec le format invariable et standardisé des formulaires numériques. 
  • Le récit généré par ordinateur apparait mécanique et déshumanisé. L’histoire est racontée à la troisième personne avec une « voix » d’ordinateur. Le langage et le vocabulaire sont standardisés.
  • Le discours est plutôt ambigu et offre une compréhension fragmentée et décontextualisée de la situation du client.  
  • Avant d’intégrer le récit dans une enquête de travail social, il est nécessaire d’y introduire des ajustements narratifs pour en faire une histoire humaine significative. 
  • L’histoire personnelle racontée dans toute sa complexité avec les signes de la narration humaine comme les hésitations et les contradictions est réduite à des faits traduits dans un questionnaire. Les points de vue et les perceptions des usagers, si importants pour la prise de décision en travail social, risquent d’être occultés par ce processus de standardisation.
  • Ces changements sont significatifs dans un métier où l’interaction sociale, l’empathie, la contextualisation et les considérations éthiques sont primordiales. L’individu est transformé en une donnée numérique et un produit avec une identité virtuelle. 
  • Alors que la base de données semble être privilégiée par les décideurs politiques pour collecter des statistiques et tenter d'obtenir une « vue d'ensemble », les récits tirés d'interactions en face à face seraient plus utiles pour la prise de décision individuelle dans le contexte du travail social. 
Messages clés pour la politique et la pratique
  • À travers le cas de l’ASI, l’article met en évidence les défis auxquels font face les travailleurs sociaux amenés à utiliser des outils numériques standardisés pour la prise de décision et souligne les limites de ces outils.
  • La conception d’outils numériques pour soutenir le travail social doit se faire en collaboration avec des travailleurs sociaux et leurs clients. Elle doit prendre en considération l’importance de l’histoire personnelle, dans toute sa complexité et son caractère constructif. 
  • Lorsque la classification numérique et les évaluations standardisées sont utilisées dans un secteur professionnel comme le travail social, de nouvelles questions doivent être abordées et résolues: comment le processus décisionnel est-il affecté par la standardisation? Comment le client est-il représenté? Où se situent les défis et les possibilités pour les travailleurs sociaux ? Des études empiriques sont nécessaires pour analyser l’impact de l’utilisation de ces outils numériques sur les pratiques professionnelles.
Méthode et limites de la recherche
  • Il s’agit d’une étude empirique basée sur : 
    -l’observation de 12 entretiens ASI enregistrés et des entrevues avec des travailleurs sociaux, des clients, des développeurs des systèmes informatiques, ainsi que des informaticiens d’une entreprise privée qui fournit le support technique aux services sociaux et gère les données de l’ASI. 
  • L’auteur de cette étude donne un aperçu de la conception du récit généré par ordinateur. Ensuite, le récit du client numérique « Data-Dennis » produit par le logiciel est analysé et discuté. En troisième lieu, les données interactionnelles d’une interview ASI sont exposées pour montrer comment se déroule l’interaction questions-réponses afin de mettre en lumière le type de données sur lesquelles repose la narration générée par ordinateur.
  • Il n’y a pas de limite de la recherche mentionnée dans l’article. 
     
Financement de la recherche

Le texte ne contient pas d’informations sur le financement de la recherche