Comment accéder à l’État plateforme? L’identification numérique des usagers en France

Alauzen, M. (2019). L’État plateforme et l’identification numérique des usagers: Le processus de conception de FranceConnect. Réseaux, 213 (1), pp. 211-239.

Contexte

Au moyen de l’exemple de FranceConnect, cet article étudie la notion d’État plateforme telle que mise en œuvre par l’État français entre 2014 et 2017 sous le pilotage du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). La fonctionnalité FranceConnect est disponible sur de nombreux sites administratifs, sous la forme d’un onglet, et offre à l’usager une reconnaissance accélérée (p.ex., cette fonctionnalité permet au citoyen de pré-remplir automatiquement les formulaires administratifs). L’objectif de cet article est d’analyser cette fonctionnalité d’identification sur les sites des services publics en ligne afin de caractériser les formes de l’État plateforme. Par conséquent, l’étude de FranceConnect montre comment l’État plateforme a pris forme dans une application d’identification et d’échange de données administratives. Dans le cas français, cet État plateforme se construit sur la base de deux principes centraux : (1) la souveraineté numérique et l’ergonomie des services publics. Dans cette optique, l’étude interroge la façon dont cette technologie d’identification a été envisagée et en retrace les problèmes auxquels se sont confrontés ses concepteurs.

Définition

Importée des États-Unis, la notion d’État plateforme s’inscrit dans la perspective de faire de l’usager le destinataire privilégié de la modernisation de l’État. L’État plateforme doit s’adapter aux nouvelles formes de l’économie qui articule d’une part, la capitalisation des données fournies par une multitude d’acteurs et d’autre part, le développement d’infrastructure permettant la valorisation les données captées (plateforme). Dans une logique administrative, cette stratégie de plateforme se traduit par des politiques de développement de l’administration électronique et d’ouverture des données publiques. Elle se matérialise également par l’interopérabilité, la mutualisation d’infrastructures informatiques, ainsi que dans la quête d’alignement sur les industries numériques de plateforme existantes (Facebook, GitHub, Google).

FranceConnect est le résultat d’une politique de simplification visant à éviter aux usagers de créer de nouveaux comptes et à pré-remplir les formulaires avec des données déjà̀ enregistrées par les administrations. Concrètement, il s’agit d’un bouton permettant d’identifier les usagers et d’échanger des informations administratives. Son usage est facultatif. Les citoyens français ont le choix entre utiliser FranceConnect et utiliser leur compte local pour s’identifier lorsqu’ils se rendent sur un site gouvernemental pour faire une démarche.

Résultats

La souveraineté numérique est le premier principe central dans l’État plateforme français, voici comment ce principe se décline dans le cas français :

  • L’État plateforme s’est développé autour de la souveraineté numérique, en mobilisant des protocoles libres et en reconstruisant des bases de données minimisées et des registres de traçabilité́.
  • La souveraineté numérique a été assurée en se prémunissant des collectes massives de données, avec une approche frugale en matière de collecte de données.
  • Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) a conçu sa propre Application Programming Interface (API) au lieu d’utiliser des industries de plateformes (Facebook, GitHub, Google). Une API est une solution informatique qui permet aux applications de communiquer, via un langage de programmation, et d’échanger mutuellement des services sans avoir à se soucier du fonctionnement de l’autre application. Dans le cas de FranceConnect, l’API est utilisée pour fournir le même service d’authentification à un très grand nombre de sites.
  • L’extension du domaine de la souveraineté que représente FranceConnect a produit une mesure de protection vis-à-vis des industries de plateformes et notamment celles des Etats-Unis en raison du Patriot Act qui autorise le renseignement américain à exiger la communication de toute information détenue par une entreprise américaine, que ses serveurs soient ou non localisés aux États-Unis. Le SGMAP a intégré́ les standards d’identification requis par le règlement e-IDAS (Electronic Identification, Authentication and Trust Services), adopté par le Parlement européen.

L’ergonomie des services publics est le second principe ayant sous-tendu le développement de la fonction FranceConnect. L’ergonomie des services publics en ligne a été mise en œuvre de la façon suivante :

  • La plateforme FranceConnect est soucieuse de l’accessibilité́ du service public par les usagers.
  • Une attention est portée à l’intelligibilité́ des interfaces, mais aussi à l’accessibilité́, la traçabilité́ et la confiance.
  • Le souci, à la fois juridique et pratique, d’assurer les commodités d’usage, de confort et de transparence des opérations administratives a guidé la conception de la plateforme.
  • La finalité́ centrale de cette fonctionnalité a été d’améliorer les conditions du travail administratif des usagers des services publics, c’est-à-dire le remplissage de formulaires et la justification de demandes adressées aux différentes administrations.
Messages clés pour la politique et la pratique

FranceConnect est présenté́ comme la première pierre d’une nouvelle stratégie de l’État, la stratégie de plateforme. La souveraineté et l’ergonomie sont les deux caractéristiques qui ont émergé des choix de conception de FranceConnect.

C’est en répondant aux problèmes qui ont pu sembler purement techniques, à propos de l’identification des usagers et de l’échange des données administratives, que les concepteurs ont façonné́ cette réalité́ de l’État plateforme.

Dès l’installation de FranceConnect, les activités de ses concepteurs ont évolué vers la maintenance. Ils se consacrent à la transmission du savoir-faire, la responsabilité́ en cas de bug, la mise à jour des protocoles, l’intégration d’entreprises privées, induisant à chaque fois des réaménagements plus ou moins profonds.

Méthode et limites de la recherche

L’article s’appuie sur une enquête ethnographique qui s’est déroulée au sein du SGMAP. Les données ont été collectées par la chercheuse par des observations dans les bureaux du SGMAP (environ 60 demi-journées), par des entretiens informels avec des participants au développement de FranceConnect, par la collecte de documents internes au service (mails, présentations, documentation technique, notes, études) et par l’enregistrement d’un corpus d’informations publiques (rapports, textes de loi, documents stratégiques, communiqués, revue de presse web). Les données collectées lui ont fourni une riche compréhension de la trajectoire de ce projet de modernisation afin de reconstituer sa chronologie et de documenter les débats, les états d’âme, les changements de position ainsi que le lexique et les technologies impliqués.

Aucune limite n’a été mentionnée dans l’article.

Financement de la recherche

L’auteure a été recrutée par le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) pour y rédiger une thèse sur la modernisation numérique de l’État français. Par contre, le texte ne contient pas d’informations sur le financement de la recherche.