Attitudes et perceptions des gestionnaires publics à l’égard des données massives

Guenduez, A. A., Mettler, T., & Schedler, K. (2020). Technological frames in public administration: What do public managers think of big data? Government Information Quarterly, 37(1).

Contexte

L’administration publique génère et collecte une quantité importante de données pouvant être exploitées pour améliorer l’efficience des services publics. Pourtant, l’adoption de technologies permettant leur utilisation et leur gestion tarde à se concrétiser. Selon les chercheurs, la perception et le scepticisme des gestionnaires publics envers les données massives (big data) seraient à l’origine d’une adhésion limitée. Or, l’une des sources principales d’échec des projets de transformation numérique est le manque de compréhension des gestionnaires publics. L’équipe de recherche postule qu’une meilleure compréhension de leurs perceptions est cruciale pour accélérer la numérisation des services publics. Pour ce faire, les chercheurs analysent la compréhension qu’ont les gestionnaires publics des données massives.

Définition

La publication met l’accent sur la notion de données massives (big data). Pour l’administration publique, les données massives qualifient une quantité importante de données administratives structurées et non-structurées.

Plusieurs questionnements freinent l’utilisation des données massives au sein du secteur public, notamment les interrogations entourant la vie privée, l’accessibilité des données ainsi que l’utilisation et la gestion de celles-ci. Pour expliquer ce ralentissement, l’équipe de recherche étudie le cadrage technologique (technological framing). Ce dernier qualifie la perception qu’ont les gestionnaires publics d’une technologie.

Résultats
  • Le scepticisme à l’égard des données massives est important parmi les gestionnaires. 39% (n=25) d’entre eux font preuve de scepticisme alors que 34% (n=22) font preuve d’enthousiasme.
  • Les données massives ne sont pas adéquatement comprises par les gestionnaires publics. À ce titre, des interprétations divergentes par rapport aux données massives existent. Par exemple, certains gestionnaires considèrent que les données massives encouragent une pseudo-précision dans les décisions publiques alors que d’autres considèrent qu’elles permettront une meilleure agilité organisationnelle. Une telle divergence a pour conséquence de complexifier le développement d’une stratégie ou de standards relatifs aux données massives au sein de l’administration publique.
  • Plus un gestionnaire accorde de l’importance aux conséquences positives des données massives, plus il mobilise d’efforts pour les promouvoir et les implanter au sein de l’administration publique. La relation inverse est également vraie. Moins un gestionnaire accorde d’importance aux conséquences positives des données massives, moins il mobilise d’efforts pour les promouvoir et les implanter.
  • L’analyse des données a permis de catégoriser les gestionnaires en fonction de leur opinion sur les données massives. L’équipe de recherche distingue neuf types de gestionnaires (présentés du profil le plus sceptique au profil le plus enthousiaste) : le techno-sceptique centré vers l’extérieur, le techno-sceptique centré vers l’intérieur, le techno-sceptique non centré, l’observateur non-centré, le techno-enthousiaste général, le techno-enthousiaste centré vers l’intérieur, le techno-enthousiaste centré vers l’extérieur, l’observateur centré vers l’intérieur et l’observateur centré vers l’extérieur.
  • La dualité intérieur-extérieur permet de différencier les compréhensions se basant davantage sur des conséquences internes à l’administration (c’est-à-dire orientées vers l’intérieur) de celles se basant davantage sur des conséquences sociétales (c’est-à-dire orientées vers l’extérieur).
Messages clés pour la politique et la pratique
  • Pour remédier au scepticisme des gestionnaires publics, l’équipe de recherche suggère de comprendre leurs réticences ou, du moins, d’en parler dès le début du projet.
  • Puisque le scepticisme ou l’enthousiasme impacte les efforts réalisés par un gestionnaire pour promouvoir et implanter des données massives au sein de l’administration publique, l’identification des gestionnaires enthousiastes représente un avantage stratégique avant, pendant et après son implantation.
  • Les politiques publiques qui visent à répondre aux inquiétudes des gestionnaires publics sont celles qui ont le plus de chance de réussir puisqu’elles peuvent plus facilement créer de l’acceptation, de la légitimité et du soutien.
  • Pour éviter les problèmes d’incohérence, il est important d’avoir une discussion avec les gestionnaires pour leur présenter la vision et les attentes de l’organisation en matière de données massives.
Méthode et limites de la recherche
  • Il s’agit d’une recherche empirique mobilisant une méthode mixte;
  • Les données ont été recueillies à travers 32 entretiens téléphoniques semi-dirigés. Les participants ont été sélectionnés au moyen de la méthode d’échantillonnage dite de la boule de neige ;
  • Les données ont été analysées à l’aide de la méthodologie Q. Cette méthode consiste à élaborer un certain nombre d’énoncés subjectifs (n=50) concernant les données massives pour représenter le plus d’opinion possible. Ces énoncés sont ensuite présentés aux participants afin qu’ils expriment leur niveau d’accord ou de désaccord sur une échelle allant de 1 (fortement en désaccord) à 7 (fortement en accord). Une fois toutes les réponses colligées, les énoncés sont analysés à l’aide d’un logiciel de données quantitatives (STATA);
  • Cette étude comporte trois principales limites :
    • Les résultats ne sont donc pas généralisables pour les administrations publiques ayant un niveau technologique plus mature ;
    • Les résultats décrivent uniquement le sentiment présent des gestionnaires publics suisses ;
    • L’étude ne s’attarde qu’à la perception des gestionnaires publics alors que ce type de technologie ne peut vraiment s’implanter sans que la société entière n’y soit prête. Par conséquent, il faudrait étudier si les perceptions citoyennes sont similaires à celles des gestionnaires publics.

 

Financement de la recherche

Il n’y a pas d’information concernant le financement dans la publication.